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6 octobre 2007

Alcool

Il préférait demeurer là,
immobile et inerte,  à certaines heures, il se figeait,
arrondissant son dos, muet, silencieux, morne et gris...

Assouvissements, ivresses, il savait quel prix payer 
pour ses délectations éphémères.
  
Le prix du temps :
l'absence et le renoncement, 
le vide et le silence.
Un silence peuplé de voix, de chuchotements.
Un vide hanté de visages et de souvenirs.

17456006_copie 

Tout ce temps perdu
à ne pas saisir le temps qui passe, l’instant...

Robinson avait vécu et vu,
il gomma son île, son désespoir.
Il était nu…nulle part, sonné abruti

Il venait de naître à nouveau 
Comment s’appelait-il ?
Édouard : maître d’hôtel, 
témoin insidieux d’une province soyeuse.

Son histoire se modelait à ses désirs.  
Une revanche prise sur le déroulement impersonnel
d’un présent qu’il ignorait.
  
Il écrivit guidé par une rumeur, un chuchotement

un murmure monté en lui. Peut-être l'écho d’une autre vie ?

Il se donnait l’illusion du plaisir 
en caressant le rythme ondulatoire du discours, 
sans se préoccuper de la mièvrerie désespérée 
de ces mots raccrochés les uns aux autres,
convoi poussif, petit train ivre suivant sa ronde, 
s’inventant des bouts du monde . 

Il s’était réveillé après ses désillusions, 
pas plus en Édouard qu'en Robinson,
Un rêve, un cauchemar. Ivrogne dépenaillé titubant au petit matin,
blafard fantôme expulsé de son médiéval caveau. 

Il prit soudain conscience, si toutefois la conscience ne s’imposait pas d’elle-même
avant qu’on ne l’invita, du cynisme et du dérisoire de sa fuite.
  
Quelle en était la nature, la finalité ?
Il s’éloignait toujours plus loin du monde réel
Certains soirs il prenait garde de ne pas faire de bruit 
de peur de se déranger..
Le battement de son sang s'accordait au silence 
en pulsations imperceptibles.  
Le rythme moelleux s’amplifiait dans les oreilles, 
martelant le silence et le poids des choses.

Il regardait les objets posés sur la table,
attentif à leur immobilité pesante.

09

Il revint à l’objet à la pierre, courba son dos;
morne statue livide.

5855152_p
  
Dehors dans l'obscurité, les fenêtres des maisons voisines s’éteignaient, 
comme des friandises acidulées gobées par la nuit.  

En songe, il descendit sur le chemin poussiéreux serpentant vers la mer,
luisante ardoise entre les falaises crayeuses.
L’océan taraudait depuis des millions d’années le sable de la plage,
la vague derrière lui effaça l'empreinte de ses pas.  

Ce matin, l'absence d’alcool tétanise ses muscles, 
un filet tressé de nerfs crépitant l'enserre et l’étouffe. Il a froid...

Son esprit embrumé s’éveille lentement
à l’inquiétante luminescence d‘un ciel gris.
Le chant lancinant d'un merle monte 
en trilles acérées dans le jour qui se lève. 

La respiration se fragmente, s’obture,
la conscience devient métallique et glacée

104_copie

Il est en manque et ressent l’envie impérieuse 
de plonger dans une indolence tiède et floue, 
de sombrer dans la pétillance dorée d’un grand verre de bière 
pour y prolonger son rêve  

Ce monde suinte en gouttelettes acides dans la clarté de l'aube.  

Les matins d'automne ne pardonnent rien
aux chevauchées lunaires des songes éthyliques.

Il se noue pour ne pas pleurer, le dos voûté,
et redevient pierre, cailloux, ossements...

Les errances nocturnes et leurs flots de rêveries avalées 
avec frénésie et gourmandise
c’était peu à peu figées en lui en un lourd fardeau gélatineux. 

Cargo fantôme lesté de sa cargaison décomposée, 
il dérivait, ballotté sur les eaux puantes et huileuses d’une mer morte. 

En écrivant avec empressement et emphases,
il enrobait les mots de sucreries écœurantes,
éprouvant un peu la joie enfantine 
et l'exubérance triste d’un bonheur perdu. 

Il s’enfuit encore sur le chemin poussiéreux qui serpentait vers la mer...
Elle demeurait là, immobile, allongée sur le sable de la plage

200 

Il la contempla quelques instants, rangea la photo, finit son verre..
En se glissant dans son fauteuil son corps se détendit. Il se remit à écrire,
sentant sa main se délier, les lettres se dessinaient sur la page
en arabesques élégantes 

Le trait s’enroulait, se dénouait avec une agilité extraordinaire.  
Il sentit ce rapport sensuel avec le papier,
la magie du gribouillage, la typographie sauvage

les_chuchottements2

Il s'insinuait à nouveau dans son univers clos, 
sublimant la conscience jusqu’à la perdre. 

Étrange alchimie de l'alcool qui détruit l’essence même du plaisir,
annihile l'action et rend toute réflexion confuse.   

Il devait toucher les objets pour se rassurer,
s’étonner de leur natures vacillantes ; 
des couleurs qui n’envoyaient plus de signes distincts, 
des sons étouffés qui se propageaient autour de lui 

Devenait-il fou, paranoïaque, illusion, abstraction, 
qu’attendait-il ?
Pourquoi sa main tremblait-elle, 
de qui avait t-il peur, et qui d'autre parlait en lui  ?

Pourquoi ses questions sans réponses, 
sans réponse possible ?

Il part loin de son cahier, y revient avec 
l'incessante envie d’écrire, de dire de comprendre.

Il veut son ordre, méticuleusement et cherche en lui 
et dans l’espace restreint de la maison.

Montant, descendant l’escalier dans un rituel étourdissant.   
Il passe devant la chambre, regarde ce lit,
s’y allonge, se relève, reprends son cahier, écoute dehors les bruits,
se cache, épie, attends, cherche...tourne en rond...
Il a peur du silence, d'une présence, d'une menace, il retourne en lui, 
écrit frénétiquement, se lève, redescend, piétine le sol carrelé de la cuisine  

Éprouve d’autres sensations confuses,
reviens, ré-ouvre son cahier; 
en tourne, retourne les pages.
Le papier aimante sa main, le sol ses pas.   
Le réveil marque les minutes, les heures...
Un combat inégal auquel chacun de nous est
convié, irrémédiablement.  
S’empresser d’écrire car ce soir ou demain il sera trop tard.
La vie lui enlèvera sa copie. 

Examen obligatoire ou tous sont recalés...!  

Quel discours....et la réalité au rythme de la conscience qui s'éveille, ressurgit
Je devrai pourtant repartir... si c’est encore possible ?

Pas sûr, pas si sûr...


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